Je me réveillais plus frustré que jamais. Je détestais qu'on se brouille. Bon d'accord, personne de sain d'esprit n'aimait ça, mais avec elle... D'ordinaire, lorsque je m'embrouillais avec quelqu'un, c'était soit un militaire et dans ce cas - juste ou pas - le plus gradé remportait inévitablement le dernier mot, soit une amante et les réconciliations se faisaient donc de bien agréable manière. Avec elle, je n'étais jamais sûr d'avoir le dernier mot et les réconciliations étaient peu souvent au rendez-vous... Rien d'agréable là dedans, dans tous les cas.

Soupirant, je m'arrachais à mes draps et posais les deux pieds au sol, grimaçant d'avoir été trop vite, trop fort, pour taper le sol de mes talons. Il faut vraiment que je sois plus lent dans mes mouvements, songeais-je en saisissant la béquille qui me permettait de me déplacer sur mes deux pieds. Je savais que je devais m'estimer chanceux. Il y a peu encore, j'étais avec deux béquilles et encore un peu avant, carrément en fauteuil. Chaque amélioration du fonctionnement de mes jambes était une victoire, mais pour moi, cela n'allait pas assez vite.

Le pas traînant, essayant de faire le moins de bruit possible, je fis - comme tous les matins à la maison depuis quatre ans - le tour des chambres de la maison, passant devant celle parentale en premier. Je pris plusieurs minutes pour la regarder dormir, un léger sourire tendre sur mes lèvres, alors que je pensais à tout ce que nous étions aux yeux des autres, me demandant toujours à quel moment exactement, j'avais commencé à voir cela comme ce que j'aurais voulu et pas simplement comme ce que nous devions prétendre pour son bien et celui des enfants. Je n'avais pas de réponse toute simple et j'en étais venu depuis un moment déjà à conclure que les choses avaient changés progressivement, au fil du temps et pas tout d'un coup. Pas de coup de foudre comme on en voit dans les films, juste une séduction de tous les jours.

Après avoir vérifié que les enfants allaient bien, je descendis dans la cave. Entre la machine à laver et la réserve, j'avais installé plusieurs appareils de musculations et étant privé de mon jogging matinal, c'était devenu mon endroit du matin, là où je me défoulais et où j'essayais de me maintenir en forme malgré mes entraves. Je posais ma béquille contre le mur et fit quelques pas vacillant vers la barre transversale suspendu au milieu de la pièce. Il me suffisait de lever les bras pour l'attraper et les tractions étaient l'une des rares activité qui ne demandait nulle intervention des jambes.

Les minutes passèrent sans que je ne m'en rende compte et lorsque je remontais de la cave, Peneloppe était levée et en pleine activité dans la cuisine. « Bonjour », dis-je alors qu'elle levait brièvement les yeux. « Comment va ce matin ? » Je me dirigeais vers elle, passais dans son dos et m'approchais d'un des placards de la cuisine. « Je mets la table », dis-je doucement en ouvrant la porte qui dévoila une flopée de bols, verres et tasses. Je connaissais le schéma par coeur à force. Deux bols pour les enfants, deux mugs pour nous et un grand verre pour le jus de fruit de chacun. Cuillères, couteaux et serviettes. Posant une dernière cuillère près du bol du petit, celle-ci tinta plus que les autres couverts, touchant trois fois la table avant que je ne parvienne à la lâcher. Levant ma main pour mieux l'observer, je la vis trembler de manière incontrôlable, trop faiblement pour que ça ne se remarque de suite, mais clairement quand même. Je contractais tous mes muscles en fermant et rouvrant le poing, constatant l'absence d'effet. Elle tremblait toujours...